" ...Les lois civiles même ne sont pas, à proprement parler, des conventions, quoique les conventions interviennent dans l'établissement du pouvoir législatif de l'Etat. Ainsi on voit bien qu'en cela, comme dans toutes les autres matières de politique, les Grecs ont eu devant leurs yeux la constitution de leurs états démocratiques. Car, comme, dans ces sortes de gouvernements, les lois se faisaient sur la proposition du magistrat, mais ensuite du consentement et de l'ordonnance du peuple, et par conséquent avec une espèce de stipulation : on leur donnait, à cause de cela,, le titre de conventions. Cette raison néanmoins ne suffit pas, à mon avis, pour que les lois, même démocratiques puissent être proprement appelées des conventions. Car quoique le plus grande partie du peuple doive consentir à leur établissement, ce consentement n'est pour autant que la manière dont le pouvoir souverain, qui réside dans le corps entier du peuple, s'exerce et se déploie actuellement ; ce à quoi la plus grande partie des citoyens a consenti, étant censé la volonté et l'ordonnance de tout le corps. D'où vient qu'il y a une grande différence entre la force du suffrage que chacun donne en cette sorte d'assemblées, lorsqu'il s'agit de faire quelque ordonnance et la vertu du consentement que l'on donne dans une convention. Car un contractant n'est tenu à rien, quand il n'a point consenti, et ce consentement est si essentiel, que sans cela il n'y a point de convention valable. Au lieu qu'en matière de lois civiles, on a beau ne pas acquiescer, la pluralité des voix l'emporte, il faut nécessairement se soumettre à la volonté du plus grand nombre. Du reste les autres différences qu'il y a entre la loi et la convention sont fort aisées à découvrir. Car le convention est une promesse ; la loi, un commandement. Dans les conventions, on dit :" je ferai" ; dans les lois, " vous ferez". Les conventions étant arbitraires dans leur origine, on y détermine ce à quoi l'on s'engage, avant que d'être dans aucune obligation de l'exécuter ; au lieu que la loi supposant une dépendance du pouvoir d'autrui, l'obligation d'obéir au législateur précède la détermination de ce qu'il faut faire. Ainsi la raison pourquoi une convention oblige, c'est uniquement l'engagement où l'on est entré soi-même de sa pure volonté ; au lieu que la loi oblige en vertu de l'engagement où l'on était déjà d'obéir au législateur."
Pufendorf, Du droit de la nature et des gens, 1734.
Une page d'une précision exceptionnelle pour marquer à tout jamais ce qui distingue, même dans des états démocratiques, la loi et la convention ou le contrat, sous la plume d'un des grands théoriciens du contrat social. La force de l'exigence de consentement libre et éclairé est absolue en matière contractuelle alors qu'en matière de loi, même référendaire, la puissance du consentement individuel est beaucoup plus limitée, dès lors que, même si l'on n'a pas approuvé le texte, il faudra s'y soumettre dès lors que la majorité l'aura approuvé. On notera aussi la fiction par laquelle est réputée volonté du peuple tout entier la volonté de la majorité.