"A l’égard des maladies, je ne répéterai point les vaines et fausses déclamations, que font contre la médecine la plupart des gens en santé ; mais je demanderai s’il y a quelque observation solide de laquelle on puisse conclure que dans les pays, où cet art est le plus négligé, la vie moyenne de l’homme soit plus courte que dans ceux où il est cultivé avec le plus de soin ; et comment cela pourrait-il être, si nous nous donnons plus de maux que la médecine ne peut nous fournir de remèdes ! L’extrême inégalité dans la manière de vivre, l’excès d’oisiveté dans les uns, l’excès de travail dans les autres, la facilité d’irriter et de satisfaire nos appétits et notre sensualité, les aliments trop recherchés des riches, qui les nourrissent de sucs échauffants et les accablent d’indigestions, la mauvaise nourriture des pauvres, dont ils manquent même le plus souvent, et dont le défaut les porte à surcharger avidement leur estomac dans l’occasion, les veilles, les excès de toute espèce, les transports immodérés de toutes les passions, les fatigues et l’épuisement d’esprit, les chagrins, et les peines sans nombre qu’on éprouve dans tous les états, et dont les âmes sont perpétuellement rongées. Voilà les funestes garants que la plupart de nos maux sont notre propre ouvrage,…".
Rousseau, Discours sur les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755
Orientation : Curieux passage, souvent négligé dans le fameux Second Discours de Rousseau, qui semble prendre une actualité nouvelle à l'heure du recul de l'espérance de vie dans les pays occidentaux et des très nombreuses études montrant l'importance décisive du mode de vie, des facteurs de risque et de la pollution sur les pathologies.
Il a pu passer à juste titre pour caractéristique de l'idéalisation rousseauiste de la nature. Il sonne cependant aujourd'hui comme éclairant la poursuite assez aberrante par la recherche médicale de traitements n'ayant pour objet que de corriger en partie les effets désastreux de modes de vie pathogènes déterminés par un ordre du monde gouverné par la cupidité et la réduction des êtres humains à des consommateurs ayant vocation à alimenter indéfiniment la croissance économique.